La tolérance est un concept présenté comme triomphant au XVIIIe siècle, en particulier à travers les écrits des philosophes des Lumières. Notion philosophique mais aussi juridique qui porte en elle, par son étymologie latine, le concept de « souffrance », elle désigne initialement l’acceptation bienveillante d’une situation qui devrait être combattue. Avec l’avènement et la diffusion du protestantisme en Europe, le mot prend un sens nouveau. Une mutation s’opère dès le XVIIe et atteint sa maturité au XVIIIe siècle. La tolérance devient une « vertu » qui permet l’harmonie au sein de la société et qui s’oppose à l’« intolérance », que l’Encyclopédie de Diderot et D’Alembert décrit comme « la discorde et le fanatisme ». Toutefois, cette approche de la philosophie nouvelle ne fait pas l’unanimité. Beaucoup de contemporains réagissent et présentent la tolérance de leur siècle comme abusive, allant jusqu’à employer le terme péjoratif de « tolérantisme ». Pour eux, elle s’inscrit dans une dénonciation plus générale de l’absolutisme qui ne peut que nuire à la souveraineté de l’Église et de l’État. L’apologétique catholique s’inscrit dans cette ligne doctrinale. Loin d’appeler à une intolérance « sanguinaire », elle prône une vision plus modérée, plus en accord avec le précepte fondamental du christianisme qu’est la charité. Dans ce contexte conflictuel, les écrits de Jean Pey fournissent un témoignage des querelles liées à cette notion. Apologiste de la seconde moitié du XVIIIe siècle, chanoine de Notre-Dame de Paris, il publie une dizaine d’ouvrages entre 1771 et 1793. Attaché à défendre l’alliance respectueuse des deux puissances, les droits de l’Église face à l’ingérence de l’État et la défense d’une souveraineté fondée sur l’origine divine, l’abbé Pey ne s’intéresse pas à la tolérance uniquement d’un point de vue théologique ; il lui prête des conséquences politiques. Le « système de la tolérance » – comme il le nomme – entraîne une rupture de l’union du Trône et de l’Autel ; il sape la religion et la légitimité qu’elle apporte à la souveraineté. La tolérance n’est qu’une émanation des aspirations libérales des ennemis des deux puissances qui engendre l’indépendance et la révolte, destructrices de la souveraineté et de l’autorité de l’Église et de l’État. Sa critique de la tolérance n’a pas pour seul objet l’évolution sémantique de la notion ; elle veut mettre en lumière l’enjeu de cette notion : les rapports entre la puissance temporelle et spirituelle. En ce sens, le combat contre la tolérance de l’abbé Pey devient une défense de la souveraineté commune des deux puissances. Son système absolutiste est fondé à la fois sur l’origine divine de l’Église et de l’État ainsi que sur la nécessaire obéissance que leur doivent les sujets et les fidèles. La tolérance que le chanoine dénonce, parce qu’elle incarne une forme de liberté et de pluralité de religion, anéantie les fondements de la souveraineté. Le rejet de la tolérance n’est donc pas seulement une nécessité dogmatique ; c’est une obligation pour assurer la survie de la souveraineté. La défense apologétique que propose Jean Pey est riche par la diversité de ses adversaires : jansénistes, philosophes, protestants ou encore certaines pratiques gallicanes. Cette pluralité implique le recours à un argumentaire varié quant à ses thématiques. Il oppose une importante résistance aux changements idéologiques auxquels il objecte la force d’une doctrine catholique respectueuse de Rome et de Paris. Dans ce paradigme, la place de la religion dans la société civile ainsi que la capacité normative de l’État et ses limites sont des thèmes clefs qu’il confronte aux appels à la tolérance et aux propositions libérales de son temps. Auteur qui refuse l’évolution qui suit la fin de l’Ancien Régime et qui voit dans la Révolution l’aboutissement de l’« impiété » et des erreurs de son temps, Jean Pey souhaite substituer aux idéaux de liberté des Lumières une doctrine d’ordre et d’unité.