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Au sein d’une maison d’opéra à la renommée internationale, cette thèse met en lumière un collectif de contributeurs au spectacle souvent laissé dans l’ombre : les machinistes. Ces techniciens occupent une position subalterne dans un établissement où leur subordination à un ordre bureaucratisé est redoublée par leur dévalorisation dans les hiérarchies symboliques et sociales de l’institution, donnant lieu à l’expression d’un mépris de classe diffus. Alors que le paradigme néomanagérial vient actualiser cette relation de domination, il s’agit de comprendre les conditions de possibilité et les accommodements qui rendent cette situation acceptable, voire enviable, pour les machinistes. Tout d’abord, ces subalternes ne sont pas pour autant démunis. La démonstration soutient que le sens pratique de ces machinistes leur permet de tirer profit des marges laissées par une configuration de forte interdépendance. Ils disposent en effet d’une certaine autonomie pour apporter leur contribution, incontournable au déroulement des représentations, avec un niveau d’exigence conforme à la réputation d’excellence de la Maison. Ces subalternes, qui constituent une élite informelle de leur métier, mobilisent l’adaptabilité, l’inventivité, la réactivité dont ils font preuve au travail pour faire face aux manifestations quotidiennes de violence symbolique. Derrière le « quant-à-soi » et les pratiques permettant de contourner la contrainte, renégocier des consignes ou répondre aux atteintes à leur respectabilité, c’est toute une économie morale qui soutient l’affirmation et l’autonomisation de ces subalternes. Au sein de leur brigade, ils entretiennent ainsi un contre-discours articulant fierté d’appartenir à l’institution et de participer à la production de spectacles d’exception (illusio), valorisation du travail « bien fait », et revendication d’une culture ouvrière et d’un idéal de virilité stylisés, qui construisent un antagonisme de classe avec les dirigeants et les artistes. Cette politisation pratique est prolongée par une tradition d’adhésion à un syndicalisme « de lutte ». Ensuite, la reproduction du collectif est assurée par une sélection et une formation « sur le tas », peu formalisés et centrés sur la mise à l’épreuve, dispositifs particulièrement propices au repérage des dispositions à développer le sens pratique machiniste et le sentiment de loyauté vis-à-vis de la brigade. La socialisation professionnelle est intense, requérant un investissement « corps et âme », entre conditions de travail exigeantes (physicalité, horaires alternés, stress et autres formes de pénibilité), adhésion à l’univers symbolique brigadier et participation à ces rituels (souvent festifs). Cette définition traditionnelle de la machinerie est néanmoins remise en question par le développement d’une vision plus technique du métier, portée par des machinistes socialement plus dotés et souvent issus des premières formations professionnelles créées dans les années 2000. Le « conflit de générations » qui apparait engage une lutte de redéfinition des critères de professionnalité et des manières de pratiquer le métier. Les appropriations différenciées de la culture et des ressources brigadières questionnent également la manière dont les machinistes peuvent continuer à défendre collectivement leurs conditions de travail et leur position dans l’établissement, renégociées par les politiques néogestionnaires. Face à l’intensification du travail, la perte d’autonomie, la responsabilisation individuelle, la réduction des marges de liberté du petit encadrement et le désarmement du syndicalisme « de lutte » à travers les dispositifs de concertation, le sens pratique brigadier peut-il encore soutenir les intérêts et le respect des machinistes dans l’établissement ?
M. Eric DARRAS |
Université Toulouse Capitole |
Directeur de thèse |
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M. Pierre Emmanuel SORIGNET |
Université de Lausanne |
Co-directeur de thèse |
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Mme Sophie BÉROUD |
Université Lyon 2 Lumières |
Rapporteur |
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M. Philippe COULANGEON |
Institut d'études politiques de Paris |
Rapporteur |
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Mme Hyacinthe RAVET |
Université Paris Sorbonne |
Examinatrice |
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M. Stéphane BEAUD |
Institut d'études politiques de Lille |
Examinateur |